il y a 3 ans -  - 6 minutes

Pourquoi faut-il revoir le fonctionnement du FCTVA

Le fonds de compensation sur la TVA permet aux administrations publiques de bénéficier d’un régime fiscal attractif qui consiste en un remboursement de TVA sur certains investissements engagés. C’est en particulier le cas lorsqu’elles font appel à des mesures permettant d’investir dans de nouveaux services. Mais le FCTVA est trop rigide car il ne couvre pas les logiciels en SaaS, pourtant essentiels pour le développement des collectivités. Explications avec Antoine Rouillard, Directeur Général Délégué France et Commercial Groupe de Berger-Levrault.

Pourquoi le SaaS est-il illogiquement exclu du FCTVA ?

Les collectivités locales, relevant de la comptabilité publique, ne sont pas soumises au régime de la TVA. Il leur est appliqué un système relevant d’un fonds de compensation (FCTVA) qui permet la déduction de la TVA lorsqu’une dépense entre dans le cadre d’un projet d’investissement exclusivement (ce qui, a contrario, n’est pas possible pour les coûts dits de fonctionnement).

Antoine Rouillard, Directeur du développement commercial international de Berger-Levrault
Antoine Rouillard, Directeur Général Délégué France et Commercial Groupe de Berger-Levrault.

En matière de logiciel, le coût de la licence, des services associés entrent dans le champ du FCTVA, car ils sont considérés généralement par la collectivité comme un investissement. Les prestations de support et d’assistance ne sont pas éligible car, faisant partie du budget de fonctionnement.

Lorsqu’une administration ou une entreprise privée achète une licence sur un logiciel, elle acquiert un droit d’utilisation perpétuel (99 ans). Elle complète son acquisition par l’abonnement à un contrat de maintenance qui ouvre droit au support ainsi qu’aux mises à jour de la solution.

Cette acquisition, tout comme le projet qui y est associé, peut être considéré comme un investissement en bonne et due forme. La collectivité sera donc éligible au FCTVA, donc à la récupération de la TVA facturé par son prestataire, car elle pourra justifier d’un investissement.

Dans le cas d’une acquisition en Saas, le client va contractualiser un abonnement annuel qui va prendre en charge l’usage du logiciel et son hébergement. La collectivité va donc pouvoir bénéficier de la solution sans devoir investir une partie du matériel, de la licence logicielle qui est incluse dans la valeur de l’abonnement. La Collectivité devra payer une TVA non déductible, car l’abonnement devra être passé dans le budget de fonctionnement non éligible au FCTVA. Cela reste pour autant un projet d’investissement mais dont la solution est financée par un loyer, donc non éligible au budget d’investissement.

C’est d’autant plus surprenant que les entreprises privées n’ont pas cette discrimination entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement, elles bénéficient donc de la déduction de la TVA, dans tous les cas de figure.

Par ailleurs, on constate depuis plusieurs années que les collectivités locales ont vu leurs dotations diminuer. Elles souffrent désormais d’un budget de fonctionnement réduit, ce qui ne les incitent encore moins à utiliser le SaaS comme mode de modernisation de leur environnement numérique.

Pour les éditeurs, le problème est évident. Lorsqu’ils proposent des solutions en SaaS, les logiciels qu’ils louent ne seront pas considérés par la comptabilité publique comme des dépenses d’investissement. Les administrations ne pourront donc pas prétendre au régime du FCTVA et elles ne pourront donc pas déduire la TVA. Il y a là une véritable inégalité de traitement. Pour un même usage entre un logiciel en SaaS (considéré comme une dépense de fonctionnement) et un logiciel On-Premise (considéré comme une dépense d’investissement), les régimes diffèrent : cette inégalité est créée uniquement du fait du mode d’acquisition du logiciel, ce qui est proprement illogique.

En quoi cette inclusion aiderait-elle les administrations à se moderniser ?

L’intérêt majeur du SaaS est qu’une administration ne va pas avoir besoin d’avoir un personnel en local dédié à la maintenance des outils logiciels. Le service est en quelque sorte déporté. Une partie des investissements lourds et durables sera ainsi externalisée en dehors du spectre de l’administration.

Le constat est évident et la tendance est durable. Nous assistons à une accélération des usages ainsi qu’à une prolifération des besoins, dans un contexte de dématérialisation totale des relations entre citoyens et administrations. Les volumes d’échanges de données sont devenus tels qu’une entité publique ne doit plus à avoir à gérer ces outils en propre.

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En ce sens, l’éligibilité au FCTVA permet de considérer une partie de l’abonnement au logiciel comme un investissement. A date, les élus ont introduit la problématique de la récupération de la TVA en ce qui concerne l’hébergement (IaaS). Il s’agit d’un bon pas en avant. Mais ce même service est d’ores-et-déjà inclut dans nombre de logiciels en SaaS. Nous sommes donc en face d’une nouvelle inégalité de traitement puisque le SaaS n’entre pas encore dans le champ du FCTVA. Ce problème va continuer de se poser à l’avenir, puisqu’il y aura de moins en moins d’éditeurs de logiciels proposant des licences classiques. A terme, cela va donc générer des coûts supplémentaires pour les collectivités.

Il serait donc judicieux que l’administration fiscale requalifie sa position entre le IaaS, le PaaS et le SaaS en rendant éligible tout ou partie de ces éléments au FCTVA. Il n’est en effet pas imaginable de demander aux administrations d’intensifier les usages numériques, alors que tous les éditeurs éditent des solutions en SaaS, sans pour autant leur permettre d’atteindre un premier niveau d’aide que représente la récupération de la TVA.

Le passage des collectivités au cloud aurait-il un impact immédiat pour l’efficacité des administrations ?

Au cours des dernières années, les collectivités ont été amenées à réaliser de nombreux investissements dans leur back-office. En particulier dans les domaines de la dématérialisation des flux, des actes, des achats, de la paie, de l’Etat civil, de la facturation ou même du vote. L’Etat a demandé aux collectivités d’être interopérées et dématérialisées. Ces dernières se sont donc connectées aux services de l’Etat. Dans cette optique, la sécurisation des flux d’informations est capitale. 

En parallèle, la relation entre administration et citoyens s’est développée. Les éditeurs proposent en ce sens des moyens de communiquer entre eux, aussi bien sur les services régaliens qu’en matière de services quotidiens (cantines, crèches, facturation d’eau, centre de loisirs…). Ces mises en relation ne passeront que par l’utilisation de nouvelles solutions, en particulier en SaaS.

FCTVA TECH IN France

Le nœud du problème est donc là. Quelle est la capacité réelle des collectivités d’investir, si à chaque fois qu’un devis leur est présenté, ces dépenses entrent dans le cadre de leur budget de fonctionnement et non d’investissement ? Elles ne pourront plus être réactives. La question se pose tout autant en ce qui concerne la gestion du bureau de l’agent de collectivité territoriale. Celui-ci va de plus en plus avoir besoin d’outils de gestion des documents dématérialisés par exemple.   

Après ces premières vagues de dématérialisation, une nouvelle lame de fond est à l’œuvre. Elle concerne les outils de production de l’agent, présent sur site, pour qui il n’est plus possible de fonctionner autrement que par le recours à des services managés. Le cloud est donc une solution d’avenir incontournable.

A terme, sans modification du régime actuel du FCTVA, les conséquences pourront être lourdes. Cela pourrait retarder la transformation numérique des collectivités et créer un décalage avec les attentes des citoyens. A l’inverse, disposer d’outils adaptés permettra aux collectivités de recevoir correctement les administrés et d’interagir avec eux. Même à distance.

Dans quelle mesure le SaaS pourrait-il contribuer au plan de relance actuel ?

Le logiciel, et en particulier le SaaS sont des vecteurs forts de croissance et d’innovations disruptives. Encourager ce secteur revient à mettre particulièrement en avant l’innovation. De même, ne pas permettre au SaaS de s’insérer au sein des collectivités locales empêche le développement des entreprises qui créent des produits innovants.

A partir du moment où un frein est apposé au SaaS, on enlève toute capacité d’intégrer de l’innovation au sein des collectivités. De même, l’élargissement du FCTVA permettrait aux éditeurs actuels de se transformer vers de nouveaux modèles. En particulier en SaaS. Cela participerait ainsi l’amélioration de l’ensemble de l’écosystème du logiciel français.

Quelles sont les prochaines étapes ?

A partir du moment où les élus considèrent que les services hébergés doivent se développer, la porte est ouverte à la réflexion. Si le IaaS est éligible au FCTVA, il doit l’être également pour pour le SaaS. Tout du moins sur sa partie embarquée.

La prochaine étape revient à considérer qu’il n’y a aucune raison que le SaaS ne soit pas pris en compte dans sa globalité. Ne pas agir de la sorte reviendra à bloquer les éditeurs dans des contrats complexes avec les administrations publiques. Au contraire, opérer un vrai changement au sein du FCTVA apporterait un véritable coup d’accélérateur au secteur. A l’avenir, les administrations n’hésiteront plus à adopter de nouveaux logiciels innovants en SaaS.

Qu’est-ce que le FCTVA ?

Le fonds de compensation sur la taxe à valeur ajoutée publié au Journal officiel du 30 décembre 2020 est un régime fiscal dont bénéficient les administrations. Sous certaines conditions, ces dernières disposent d’un droit à un remboursement de la TVA pour certains enjeux jugés importants. Il peut alors s’agir de grands travaux comme la réfection des routes ou bien d’achats conséquents. Ce remboursement n’est toutefois pas envisageable dans le cas où les dépenses entrent dans le cadre des achats opérationnels courants. L’article 69 du PLFR 3 de 2020, lequel prévoit l’éligibilité au FCTVA des dépenses de cloud pour les collectivités à compter du 1er janvier 2021, constitue une avancée importante de la modernisation de l’Etat. Il renvoie cependant, pour la détermination de ses modalités d’application à un arrêté, qui, en l’état, limite son périmètre d’application à la seule composante IaaS du cloud. Le SaaS en est donc exclu quand bien même il est indispensable pour permettre aux collectivités de financer leur transformation numérique et de consacrer le budget de leurs DSI à des projets à forte valeur ajoutée.

Olivier Robillart