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Franck Lheureux, General Manager EMEA, Ivalua : « La transformation numérique est là pour durer. Elle a été amplifiée par le confinement »

Ivalua figure sans conteste comme une pépite technologique. En hyper-croissance, la société spécialisée dans les achats est une licorne dont le développement se poursuit en France comme à l’international. Rencontre avec Franck Lheureux, General Manager EMEA d’Ivalua et retour sur le succès de la scale-up.

Quels sont les éléments qui permettent à Ivalua de se positionner en tant que scale-up en hypercroissance ?

Ivalua peut s’enorgueillir d’avoir un CEO visionnaire sur son marché et dont l’ambition est de créer de la valeur ajoutée sur le marché B2B des solutions achats. Le marché était préexistant à la création Ivalua et il fallait créer une valeur certaine pour pouvoir se développer. Exister et être innovant ne suffit pas. Il convient d’amener une proposition de valeur différenciante par rapport aux acteurs déjà présents.

Franck Lheureux General Manager EMEA Ivalua
Franck Lheureux, General Manager EMEA d’Ivalua

Le vecteur d’accélération de la croissance d’Ivalua s’est appuyé sur une prise de risque. Le choix de développement s’est assez rapidement vers de nouveaux marchés comme les Etats-Unis (dès 2011, ndr). Il s’agit d’un marché de conquête recherché par les start-ups. Nous avons cherché la profitabilité immédiate et nous l’avons été quasiment dès le premier mois d’existence de la start-up.

Nous avons depuis connu une croissance certes importante, entre 40 et 50 points annuels depuis plusieurs années, mais maîtrisée. Ivalua s’est mis en quête de réaliser une croissance profitable sur un business model qui s’équilibrait sur plusieurs natures d’offres. Une offre qui s’adresse à plusieurs marchés en tant qu’industries comme la banque, les télécommunications, la grande distribution… L’offre s’est alors déployée sur plusieurs pays. A l’heure actuelle, Ivalua est présent dans pas moins de 12 pays en propre. Nous sommes capables d’équilibrer notre modèle de croissance sur deux régions principales. A savoir les Etats-Unis et l’Europe mais également l’Asie-Pacifique.

Le marché des achats sur lequel Ivalua est arrivé n’est devenu mature qu’en 2006. A l’époque, 4 ou 5 acteurs préemptaient ce marché. Nous nous sommes mis dans une dynamique de marché en commençant en France, puis aux USA, puis en Asie-Pacifique… cela a permis à la société d’asseoir sa force dès cette période charnière.

Quel sera selon vous l’impact de la crise actuelle sur levées de fonds prochaines ?

Nous vivons des moments très particuliers. Cette crise est sanitaire mais également économique. Elle touche l’économie réelle. Mais elle peut aussi être un vecteur de transformation des pays, des économies globales, des entreprises. Afin de permettre un passage accéléré vers le numérique. Cette transformation numérique est là pour durer. Elle a été amplifiée par le confinement car les outils numériques ont été appropriés par l’ensemble des générations. Ce mouvement va donc s’amplifier. Dans ce contexte, les levées de fonds ne se sont pas arrêtées.

Les levées de fonds ne se sont pas arrêtées

A terme, les investisseurs vont devenir davantage précautionneux quant aux entreprises qu’ils soutiennent. Les early stage vont être probablement plus en souffrance pour accéder à des fonds. De nouveaux critères risquent d’être instaurés car les fonds sont tout autant vigilants sur leur propre dealflow. Ils scrutent de manière active l’impact qu’à cette crise sur leurs propres fonds en considérant les entreprises qui ont résisté à la crise, celles qu’il faudra recapitaliser et enfin celles qui ne passeront pas le cap de cette dernière.

La tech reste-t-elle attractive pour les investisseurs ?

La tech demeure un lieu d’investissement et de retour sur investissement. Il s’agit probablement de l’un des meilleurs placements actuellement. Les opportunités de très forte croissance existent toujours.

En France, le Next 40 représente une initiative de taille permettant de mettre en avant les réussites françaises. Il s’agit-là de la traduction d’une volonté réelle de faire évoluer les choses et de prendre en main un vecteur puissant de financement et de visibilité auprès des investisseurs institutionnels et du grand public. Cela pallie l’absence d’un grand groupe européen. C’est une réponse nationale liée l’absence d’effet d’entraînement de l’Europe et de leadership non assumé.

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Faut-il une Europe capable de soutenir les entreprises locales ? Personnellement j’en doute. Cela peut certes paraître disruptif mais les faits sont là. L’Europe manque encore d’harmonisation fiscale, mais aussi d’harmonisation en termes de réglementation du travail, de capacité d’investir sur des sujets innovants, à mobiliser des fonds au-delà de la BCE et d’accompagner de manière agile des entrepreneurs dans de nombreux pays. La French Tech et le Next 40 génèrent des effets d’entrainement qui ont des impacts tangibles sur la croissance.

Comment mieux financer l’innovation en France ?

Il y a probablement une nécessité de mieux router l’investissement national vers l’émergence de champions nationaux. Le Next40 est une initiative qui tend vers ce but. Depuis plusieurs années, de belles initiatives comme le CIR (Crédit Impôt Recherche) ou les mesures fiscales pour aider l’innovation, portent leurs fruits. La plupart des acteurs peuvent ainsi mieux financer l’innovation.

A ce jour, la R&D chez Ivalua regroupe plus d’une centaine de personnes dont plus de 70% se trouve en France, à Orsay. Nous n’avons donc pas délocalisé la recherche en Europe de l’Est en Inde ou en Asie du Sud-est. Nous avons fait le choix au contraire de nouer des partenariats avec des écoles et des grands groupes. Cela renforce notre ancrage national.

La France bénéficie de facteurs d’attractivité pour les fonds d’investissements américains, anglais ou australiens. Ivalua représente le premier investissement de KKR en France. Le groupe a ouvert son premier bureau en France l’an dernier, alors qu’ils étaient à Londres depuis 8 ans. Ils ont nommé Xavier Niel en tant qu’administrateur de leur groupe. Cela permet d’estimer l’émulation qui existe autour de la tech française. KKR ouvrira prochainement un bureau à Lyon pour mieux capter le bouillonnement et le savoir-faire en France. Cela permet aussi de pallier le manque d’investissement public.

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La BPI représente un véritable vecteur d’entraînement pour ouvrir les fonds, ouvrir la porte aux investisseurs et leur présenter les potentialités qu’ouvre le marché français. Outre la qualité de banque, ils ont l’agilité que l’on attend des acteurs de la tech. Je ne ressens plus de crise de liquidité de la tech en France comme c’était le cas il y a encore deux ou trois années.

Mais demeure un problème de fond en matière de protection des entreprises françaises. On ne donne pas suffisamment aux entreprises françaises les moyens d’être incubées, protégées et financées sur une durée plus longue que ce qui est autorisé aujourd’hui. L’Etat a un rôle à jouer pour non seulement aider à financer mais aussi imposer des normes de trésorerie, de gestion d’encours, pour que les entrepreneurs n’aillent pas trop vite à l’international, ne soient pas diluées et protéger leur asset sur une durée plus longue.

Quelles sont vos perspectives de développement, en particulier à l’international ?

Sur un horizon de 12 à 18 mois, nous allons procéder à une consolidation de l’investissement et de l’expansion. Sur l’année passée nous avons ouvert pas moins de 6 filiales avec l’Australie, l’Angleterre, la Suède, l’Allemagne, l’Italie et Dubaï. A ceci, il convient d’ajouter le Brésil, où nous étions déjà présents. Des investissements conséquents qui permettent de développer notre croissance.

Nous avons donc connu une très forte croissance ces dernières années et nous passons à une phase de consolidation. En Europe, par exemple nous sommes passés en deux années seulement de 110 collaborateurs à 335 en seulement. Il convient donc absorber cette hypercroissance et de solidifier nos positions dans ces pays. Cela nécessite d’avoir une capacité d’absorption de cette croissance.

A terme, nous allons continuer d’investir au Canada et aux Etats-Unis où nous allons ouvrir de nouveaux sites. L’ambition est également d’ouvrir une filiale en Suisse puis aux Pays-Bas dans un horizon encore non connu. Cela ouvre de belles perspectives dans un horizon proche.

Olivier Robillart