Le groupe s’est fixé une feuille de route volontairement ambitieuse. Cegid et son CEO, Pascal Houillon, entendent mener le champion français du logiciel à bon port en misant sur ses qualités, en particulier dans les domaines des Professions Comptables, de la finance, des RH et du Retail. Une ambition forte adossée à une vision prospective claire portée par une nouvelle gouvernance.
Les axes de développement forts de Cegid vont en direction des secteurs comptables et financiers, RH et de la distribution. Comment considérez-vous ces mutations permanentes ?
Nous sommes les témoins privilégiés des transformations en cours. Pour continuer de les suivre,de les comprendre et d’investir, il était important que Cegid puisse être adossé à deux Private Equity comme Silver Lake et Alta One spécialisés dans les investissements technologiques. Ces deux entités avaient déjà réalisé des investissements dans Skype, investi très tôt dans Alibaba, aidé Michael Dell à sortir la société de la bourse… autant de savoirs-faire précieux dans un contexte d’accélération de la transformation digitale.
Être éditeur demande des efforts permanents dans la mesure où il nous faut comprendre les challenges de nos clients et les réinterpréter pour produire des applicatifs et des services qui nourrissent les transformations actuelles. Pour avancer dans ce concert de mutations, nous avons porté le regard sur des talents dotés d’expertises nouvelles à l’intérieur de Cegid. Il s’agit essentiellement de profils qui bénéficient déjà d’expériences fortes hors de France, en partie au sein de structures internationales et notamment américaines et qui ont l’expérience des transformations numériques. Cet apport nous permet de traverser sereinement les mutations et les remous qu’elles provoquent.
Avoir sorti Cegid de la bourse était un signal fort. Pensez-vous à une nouvelle cotation du groupe ?
La France dispose d’indéniables atouts mais nombre d’actifs doivent être réveillés. C’est en partie pour ce motif que nous avons sorti rapidement la société de la bourse. Par principe, la cotation implique une certaine prévisibilité, ce qui ne correspondait pas avec nos objectifs en termes de transformation. Tous les trimestres, la bourse oblige à livrer des résultats légèrement supérieurs aux précédents sans jamais surprendre les actionnaires. Cela ne correspondait ni au modèle industriel que nous mettons en place, ni à notre modèle d’investissement.
De plus nous avons à notre disposition des capacités de financement important au travers de nos actionnaires actuels.
Cegid conduit un plan ambitieux de conquête. A quels horizons comptez-vous atteindre vos objectifs ?
Nous nous sommes concentrés sur une vingtaine de produits d’avenir issus de notre catalogue afin de mieux adresser un certain nombre de marchés aux synergies puissantes. Cela a permis de confirmer que Cegid bénéficie d’une reconnaissance métier très forte dans plusieurs écosystèmes comme la fiscalité, la comptabilité mais également sur des marchés spécialisés tels que les experts-comptables.
Notre ambition est de plus que doubler notre chiffre d’affaires d’ici 4 ans. Pour parvenir à conquérir de nouvelles parts de marché, nous développons un écosystème puissant autour de nous. Grâce au SaaS, l’expert-comptable redevient un acteur important du système d’information de l’entreprise. Nous sommes historiquement très en amont sur cette technologie, il est donc naturel d’utiliser le monde de l’expertise comptable comme un véritable écosystème. Voilà deux années encore, environ 20% seulement de notre chiffre d’affaires était réalisé au moyen du Software as a Service. Nous sommes à présent à 40% et on estime que d’ici 2 ans environ deux tiers de notre chiffre d’affaires sera effectué sur cette offre.. Nous sommes donc sur une tendance positive.
Le SaaS a permis une véritable révolution du secteur du logiciel. Comment conserver l’avance prise par Cegid depuis de nombreuses années ?
Fort de notre pénétration importante de la solution SaaS, Cegid est parvenu à créer un effet de levier puissant comme élément de différenciation. Nous sentons encore le contre-coup financier du passage au SaaS mais le « plus dur » est à présent derrière nous. C’est en général au bout de 5 ans que l’on obtient une inflexion extrêmement positive du SaaS sur les résultats. Du point de vue du modèle d’investissement, capitalistique, économique, il s’agit-là d’un changement très profond car cela nécessite de faire de la R&D pendant de longues années. C’est pourquoi notre retour sur investissement devrait être de 3 ou 4 ans plus long que prévu initialement.
Nos clients également se transforment avec célérité. Le marché de l’expertise comptable est en pleine mutation. Le Gouvernement essaie de déréguler un certain nombre de marchés (notaires, avocats, experts comptables, médecins…) pour libérer l’Economie quand bien même cela pose la question de la vitesse du changement et de la transformation. Ces professions traditionnellement ordonnées ne disposent désormais que d’une visibilité à 3 ans et non plus sur 20 ans. Nous sommes des témoins privilégiés de ces profondes mutations.
Ces mêmes métiers doivent à présent se réinventer au regard de la valeur qu’ils dégagent vis-à-vis de leurs propres clients. C’est à nous qu’il revient de leur apporter des outils pour les aider à réaliser des gains de productivité et améliorer leur modèle de relation clients avec la possibilité de nouveaux services. Les portails SaaS, tout comme les outils collaboratifs vont permettre aux experts-comptables par exemple de créer des économies d’échelle lorsqu’ils communiquent avec des entreprises de taille plus petite.
La comptabilité et le retail sont des marchés traditionnellement puissants pour Cegid. Comment entendez-vous maintenir le cap dans ces deux secteurs ?
L’expertise comptable est un métier cœur chez Cegid. Nous le soutenons énormément dans la mesure où il s’agit véritablement d’un écosystème propre touchant des petites entreprises, qui elles aussi ont besoin de support dans cette transformation numérique en cours. Nous permettons à l’expert-comptable de réaliser des gains de temps considérables sur ses délégations régaliennes comme la tenue de compte, les paies. Cela lui procure du temps disponible pour qu’il exerce son activité de conseil auprès de ces mêmes entreprises.
Nous intégrons actuellement des éléments de Machine Learning et d’intelligence artificielle au sein de nos outils afin de permettre aux comptables de réaliser des analyses prédictives ou de réaliser des locations automatiques de pièces en écriture comptable. Par le passé, le collaborateur devait prendre une pièce et puis l’imputer. Désormais, les nouveaux outils permettent de reconnaître automatiquement ces éléments.
Dans le retail, les sociétés du luxe (habillement, accessoires, parfumerie…) mesurent l’offensive d’Amazon sur leurs canaux de distribution traditionnels. Ils essaient à présent de reprendre en main la distribution de leurs produits et deviennent des retailers, ouvrent des magasins en propre tout en ayant une vision beaucoup plus unifiée de l’expérience client.
Nous les aidons dans le commerce unifié, au travers des sites d’E-commerce et d’expériences clients, de corners au sein des magasins, dans les aéroports. Aujourd’hui, en dehors des solutions en SaaS, les professionnels souffrent de ruptures de reconnaissance d’informations. Le magasin est devenu un véritable centre névralgique alors que beaucoup prédisaient que les boutiques allaient disparaître. Ils sont devenus, bien au contraire, des plateformes logistiques et le point névralgique de l’expérience client.
L’entreprise est témoin des transformations qui agitent les RH, comme nombre de métiers. Quelles sont les révolutions à l’œuvre dans ce domaine ?
En matière de Ressources Humaines, nous œuvrons à la dématérialisation de tous les processus, majoritairement encore basés sur le support papier. Mais les transformations sont lentes à être adoptées. Paradoxalement, bien des acteurs du mid-market RH n’ont aucune solution de dématérialisation de leurs documents. De nombreuses sociétés travaillent encore sur la base du papier, quand bien même elles comportent plus de 5 000 collaborateurs.
De notre côté, nous faisons transiter actuellement 4 millions de bulletins de paie par mois via nos solutions, 1,8 million de liasses fiscales ainsi que toutes les déclarations de TVA. Sous l’impulsion du Gouvernement, lequel incite à la digitalisation que ce soit au travers de la DSN dans le social ou à travers des fichiers FEC (fichier des écritures comptables) dans le fiscal, un flux d’informations permanent transite aujourd’hui. Sommes-nous finalement devenus les gardiens des données des entreprises pour le compte de nos clients, jusqu’où peut-on les utiliser, même si elles sont anonymisées ? De nombreux questionnements subsistent.
L’expérience client en matière de retail est devenue clé et recoupe de nombreuses informations sur les clients. Comment établir une bonne gouvernance des données ?
Nous pensions à tort que les activités retail étaient peu réglementées. Les lois dans le domaine sont, au contraire, très changeantes d’un pays à un autre. Cela nous pousse à proposer des « countrys packages » pour prendre en charge les problématiques de législation dans différents pays. Les situations sont complexes, si vous souhaitez vous développer en Russie, vous n’aurez pas le droit d’héberger les données concernant les citoyens russes en dehors du pays. Au Brésil, il existe des taxes sur les flux financiers. Ces derniers étant certifiés par l’intermédiaire d’imprimantes certifiées. Les exemples de diversité sont légions.
Entre les moyens de paiement qui ne sont pas homogènes, ni mondiaux, les TVA, les notions de propriété des données et d’hébergement des données… tout cela peut devenir un véritable casse-tête. De nombreux experts ont estimé que le cloud était mondial mais il devient, au contraire, de plus en plus local en partie parce que les pays essaient de reprendre la main sur le sujet.
Comment Cegid, acteur de l’applicatif métier et dans le cloud, envisage l’international malgré l’existence de contraintes de localisation ?
Le secteur applicatif de gestion est par définition un marché domestique, principalement pour des questions d’écosystèmes. Un éditeur qui aurait localisé son produit en France n’est pas assuré de prendre correctement pied. La structure du marché allemand n’a rien voir avec la structure du marché français ou espagnol. Les champions locaux se sont développés sur les points de force des économies locales. Il est donc difficile par nature d’exporter ces applicatifs.
L’international pour Cegid, c’est principalement deux produits : le talent management et le retail. Nous avons la chance d’être en France et d’être portés par des sociétés du luxe dont les centres de décisions sont ici. Portés par nos clients, nous sommes à même de créer un écosystème soutenu par des grands noms. C’est pourquoi l’international ne doit pas se faire à fonds perdus. Cela doit au contraire permettre de générer davantage de valeur au moyen d’effets de volume ou pour continuer à développer vos applicatifs, votre plateforme.
Olivier Robillart