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Jean-Gabriel Ganascia, CNRS : « l’intelligence artificielle est à la fois une drogue et un médicament »

Invité à l’occasion du prochain AI France Summit 2025, Jean-Gabriel Ganascia, Président du Comité d’éthique du CNRS aborde les usages concrets de l’intelligence artificielle. Les entreprises en font actuellement un usage positif, à condition d’en respecter les bons dosages.

Les usages de l’intelligence artificielle, en particulier par les entreprises, sont désormais ancrés dans le concret. Partagez vous cette évolution et analyse ?

Jean-Gabriel Ganascia : Il me semble que l’on considère encore trop à tort que l’intelligence artificielle n’était pas mature. Et cela même depuis plusieurs années. Beaucoup de personnes oublient que de nombreuses technologies utilisées depuis longtemps sont issues de l’IA. Je pense, à titre d’exemple, à la reconnaissance des formes, de la voix pour des services de dictée. Ces outils sont déjà présents dans les entreprises depuis de nombreuses années. Je pense également au langage orienté objet dont une partie trouve sa source technologique dans les outils de reconnaissance de l’IA, ou bien encore aux systèmes experts.

Jean-Gabriel Ganascia Ai France Summit
Jean-Gabriel Ganascia, Président du Comité d’éthique du CNRS (Crédits : Wikipedia).

Pour sa part, l’intelligence artificielle générative s’avère très impressionnante. Cela conduit à des projections sur son développement dans l’avenir. Je qualifierai certaines spéculations de très ambitieuses. Une partie d’entre elles se réaliseront mais d’autres ont peu de chance d’aboutir. Mais je découvre chaque jour de nombreuses applications nouvelles intéressantes et pertinentes. Le potentiel est donc véritablement là.

Vous ne croyez donc pas en un développement exponentiel de l’IA ces prochaines années ?

Jean-Gabriel Ganascia : Les experts, tout comme les entreprises se rendent compte que les résultats produits par l’intelligence artificielle, y compris générative, peuvent créer de nombreuses hallucinations. Ces dernières vont alors engager la responsabilité de l’institution ou de l’entreprise qui l’utilise.

Les résultats produits peuvent s’avérer hautement spéculatifs. Et certaines intelligences artificielles se comportent comme des perroquets en enchaînant des mots sans les confronter à la réalité des faits. Il est alors possible d’utiliser le RAG (Retrieval-Augmented Generation) pour spécialiser les réponses produites et s’appuyer sur un corpus de référence. Mais la machine ne dit alors pas toute la vérité.

De nombreux investissements réalisés jusqu’à présent risquent de décevoir à terme. Je recommande donc à chacun la prudence car toute ce que l’on entrevoit est loin d’être certain de se réaliser.

Pour autant, l’intelligence artificielle, en particulier générative est appelée à se généraliser dans certains secteurs et proposer des usages majeurs, en particulier dans le domaine de la traduction. Si l’on ne fait confiance qu’à la technologie, des dangers peuvent alors rapidement survenir avec des risques de malentendus.

Les traducteurs pourront toujours relire le travail fourni par l’IA, mais leur tâche sera fastidieuse. La technologie pourrait donc créer des effets délétères. Si l’idée est de s’affranchir des barrières de la langue, il est également probable que l’intelligence artificielle n’atteigne pas entièrement cet objectif.

Numeum met en avant la notion d’usage pharmacologique de la technologie. Rejoignez vous cette position ?

Jean-Gabriel Ganascia : Je rejoins tout à fait cette position. La technologie constitue à la fois une drogue et un médicament. C’est là que réside toute la difficulté de l’utilisation de la technologie. Dans le monde éducatif, par exemple, l’un des sujets majeurs réside dans le fait d’apprendre aux élèves à rédiger correctement. Mais cela ne peut pas s’apprendre qu’en classe. Aussi, les enseignants peuvent utiliser l’intelligence artificielle et conduire à des simplifications redoutables. Alors que l’on attend de l’école l’inverse des lieux communs. On doit y apporter de la subtilité.

En somme, le risque n’est pas que les élèves trichent mais qu’ils ne sachent plus faire sans. De son côté, l’Université est faite pour acquérir des connaissances et se développer. Il n’est pas donc impossible de voir à nouveau émerger ces prochaines années des cas dans lesquels l’IA générative sera interdite.

Une partie de la population a développé par le passé une certaine peur de l’IA. Pourquoi ce sentiment a t’il disparu avec son volet génératif ?

Jean-Gabriel Ganascia : La particularité de l’intelligence artificielle générative est que la population a le sentiment de la toucher du doigt. Elle interagit avec elle sous la forme d’un dialogue, alors qu’auparavant, l’IA pouvait apparaître comme obscure, susceptible de prendre la place d’un individu.

Mais cette crainte n’a pas disparu. Elle continue d’exister mais sous une autre forme.

Est-il encore raisonnable de croire au progrès, en particulier technologique ?

Jean-Gabriel Ganascia : Le danger avec le domaine de l’intelligence artificielle réside dans le fait que des acteurs dominent. Ils continuent même d’étendre leur pouvoir. Leur prédominance risque de s’étendre à l’image de ce que l’on constate avec Elon Musk aux Etats-Unis. Ma crainte n’est donc par d’ordre technologique. Le dernier prix Nobel de Chimie sur les particules du vivant est le signe évident que la technologie peut à mieux soigner la population. Par la création de nouveaux médicaments grâce à l’IA. Cela ouvre des perspectives extraordinaires mais cela dépend surtout des hommes qui sont derrière cette technologie.

Mes inquiétudes sont donc plutôt d’ordre politiques que métaphysiques. Par exemple, le problème n’est pas de créer de fausses informations de les profiler pour les diffuser auprès de certaines personnes en particulier pour mettre de l’huile sur le feu et encourager certaines catégories de population. Le risque est alors de noyer les internautes d’informations qui créent un climat extrêmement fort voire suspicieux.

Le salon AI France Summit 2025 rassemble à nouveau cette année l’ensemble des experts et professionnels de l’intelligence artificielle. Organisé par Numeum, l’événement cross-secteurs de référence met en avant la technologie comme une réalité concrète pour l’ensemble des entreprises de l’écosystème, y compris numérique. Le thème de cette année est « Electrify the Now of AI: Together We Create« . L’idée est ainsi de transformer la vision de l’intelligence artificielle en une réalité qui propulse les ambitions de chacun vers de nouveaux sommets.

Olivier Robillart