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Vote électronique : comment concilier sécurité et démocratie

Le vote électronique par Internet ou par machines à voter permet d’encourager les électeurs à réaliser plus aisément leur devoir citoyen. Une ambition démocratique forte qui doit fonctionner de concert avec une exigence en termes de cybersécurité. Dans ces optiques, de nouvelles initiatives sont à l’œuvre.

Concilier impératifs de sécurité, enjeu démocratique dans un contexte de transformation numérique fort. Voilà les exigences auxquelles doivent souscrire les dispositifs permettant de voter en ligne ou au moyen de machines électroniques électorales. Pour qu’un vote électronique soit valable, de nombreuses contraintes réglementaires et techniques existent. Elles permettent de rendre les suffrages uniques, confidentiels sans que ces derniers ne puissent être revendus.

Certains Etats européens se sont d’ores-et-déjà saisis de la question. Ils font désormais appels à ces procédés pour appeler leurs citoyens aux urnes. Pays numérique par excellence, l’Estonie fait par exemple figure de pionnier. Il permettra à ses ressortissants de voter électroniquement lors des prochaines élections européennes.

Etre et rester pionnier

Certains dispositifs sont donc à présent matures pour être implantés, en particulier localement. En particulier lors d’élections ne portant pas sur des choix nationaux. Une position que soutient Gerard Berry, Professeur au Collège de France, chaire Algorithmes, machines et langages. Interrogé par Les Echos, l’expert expliquer : « des solutions partielles remarquables apparaissent, comme Belenios, développé par des chercheurs CNRS-Inria à Nancy. Belenios utilise les avancées récentes de la cryptologie, comme le chiffrement homomorphe. Il permet d’additionner des nombres chiffrés sans avoir à les déchiffrer. Il dispose d’une preuve mathématique de la correction de son fonctionnement et de la garantie de presque tous les critères mentionnés ci-dessus, sauf la confidentialité, qu’il ne peut garantir sans isoloir. »

« Le vote professionnel, c’est-à-dire non politique est amené à se développer »

En France, le contexte demeure particulier. Le scrutin via machines à voter est prévu dans le code électoral. Il est opérationnel depuis 2003 et ouvert aux communes de plus de 2 500 habitants. A ce jour, 66 communes l’utilisent pour les élections départementales, régionales ou européennes. Mais un moratoire instauré en 2008 interdit à toute nouvelle agglomération d’y recourir. Un statu quo qui n’empêche cependant pas au système de trouver des relais.

Olivier Juteau, directeur du pôle relation citoyens de Berger-Levrault, éditeur qui équipe notamment la commune d’Issy-les-Moulineaux en région parisienne, explique : « le vote professionnel, c’est-à-dire non politique est amené à se développer de façon importante. Les élections des comités d’entreprises, de délégués du personnel… regroupent un marché vivace. Les trois fonctions publiques (Etat, territoriale, hospitalière) ont ouvert la possibilité d’y recourir. La Cnil a d’ailleurs émis des recommandations sur le sujet qui font toujours référence ».

A l’étranger, les Etats bâtissent une stratégie forte autour du vote électronique

Certains pays ont d’ores-et-déjà fait le choix de proposer le scrutin électronique à leurs habitants, et ce depuis plusieurs années. En Europe, c’est le cas de l’Estonie. Elle autorise ce moyen depuis une quinzaine d’années. Elle renouvellera l’expérience à l’occasion des européennes, le 26 mai prochain. Le pays balte sera le seul au sein de l’Union européenne à l’utiliser pour cette échéance.

Il n’y aura pas de grand soir

Mobilité oblige, chaque électeur peut voter au moyen de son smartphone. A condition qu’il dispose d’une carte d’identité à puce et d’un lecteur de carte connecté à un ordinateur. Le scrutin permet d’authentifier doublement le porteur au moyen de deux codes secrets. Pour l’identifier puis réaliser la signature en propre.

Une facilité d’utilisation soutenue par certains députés français. Paula Forteza, élue LREM des Français de l’Amérique latine et des Caraïbes LREM précise : « Il y a des cas où c’est absolument nécessaire. Par exemple, pour les Français de l’étranger qui doivent se déplacer au bureau de vote qui est dans les ambassades ou les consulats et qui ne peuvent pas participer s’il n’y a pas ce vote en ligne. Il y a un deuxième cas, aux élections nationales, présidentielle et législatives ».

Faire grandir la participation

Le vote par Internet peut donc permettre de faire grandir la participation. Mais « il n’y aura pas de grand soir », précise Olivier Juteau. « La modification d’un moyen de voter ne fera pas augmenter de facto les suffrages exprimés. L’intérêt des machines à voter demeure dans le fait que les participations demeurent stables voire identiques aux moyens traditionnels. Autour de 55% en moyenne générale ».

Une urne à voter transparente

Afin de répondre aux exigences de sécurité inhérentes à de tels dispositifs, la Suisse qui utilise le vote électronique au moyen de machines depuis 2000, a fait le choix de changer de système pour faire appel à des machine de La Poste Suisse. Les nouvelles machines seront utilisées en 2020 après que de nombreux tests de sécurité soient passés et que des hackers puissent les décortiquer en détails. Un « bug bounty », doté de 25 000 francs suisses (22 000 euros) a en effet été organisé afin que des spécialistes puissent déceler des failles de sécurité dans le dispositif, pour ensuite les rapporter aux autorités.

Ne pas reproduire les erreurs

Le principe est donc simple. Eviter que ne se reproduisent les erreurs du passé, en particulier aux Etats-Unis lors de plusieurs élections. Des machines Diebold, techniquement peu fiables et insuffisamment sécurisées ont contribué à créer un climat de doutes sur le sujet. Un rapport du secrétariat d’Etat de Californie détaillait ainsi de multiples problèmes des machines Diebold. La conséquence pour la société a été terrible, puisqu’elle a conduit à revendre sa filiale déficitaire de systèmes de vote électroniques à la firme Election Systems & Software (ES&S) pour 5 millions de dollars. Malgré cet épisode, les machines à voter demeurent le moyen le plus utiliser pour exprimer son vote, sur le sol américain.

D’autres pays majeurs comme l’Inde (1,4 million de machines), le Brésil (environ 500 000 urnes électroniques) ou l’Australie y ont recours. Pour autant, si la sécurité demeure importante, les experts s’accordent à dire que l’essentiel se situe au niveau de la confiance envers les matériels proposés. Car si, par essence tout système est potentiellement piratable, cela ne signifie en rien qu’il est possible de modifier de manière très large et globale le résultat d’une élection nationale. Outre la dimension technologique, la balle est donc dans le camp du domaine juridique et politique pour assurer une continuité dans la confiance envers les processus démocratiques de vote.

Le Sénat réfléchit comment redonner la liberté aux communes d’utiliser des machines à voter

En ce qui concerne l’échelon local, de nombreuses communes lorgnent du côté des systèmes de vote électronique ou en ligne. Elles souhaitent mieux mobiliser et sensibiliser leurs citoyens. Un rapport sénatorial présenté en octobre 2018 au nom de la Commission des lois par Jacky Deromedi et Yves Détraigne propose plusieurs pistes. L’objectif est non seulement de mieux sécuriser ces machines et de le rendre également plus disponible aux Français de l’étranger.

Une enveloppe qui vote dans une urne

Depuis 2008, un moratoire empêche de nouvelles communes de s’équiper en matériel de vote électronique. Le rapport insiste ainsi sur le fait qu’à ce jour, la pratique est peu courante en France. En janvier 2018, seulement 1 421 bureaux de vote et 1,39 million d’électeurs sont équipés de machines agréées. Cela ne représente que 3 % du corps électoral. Face à ces manques, il devient important de mettre à jour le parc existant. Le rapport souhaite ainsi permettre aux villes de s’équiper en dispositifs récents. Pour ce faire, les sénateurs Jacky Deromedi et Yves Detraigne proposent d’aider les communes à s’équiper au moyen d’une subvention étatique.

Perfectionner et sécuriser

Afin de perfectionner et sécuriser la plateforme de vote pour les échéances électorales à venir, les sénateurs formulent plusieurs propositions. A savoir l’organisation d’un vote en ligne pour les élections consulaires de 2020. L’idée est d’organiser des tests grandeur nature, de préparer un scrutin par Internet pour les élections législatives de 2022. L’optique est aussi de sécuriser l’identification des électeurs participant en créant une véritable identité numérique au moyen notamment de dispositifs biométriques.

Le secteur connaît donc un mouvement majeur en avant. L’Enisa, (Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information) a émis des recommandations. Elles visent à contraindre les États à classer les systèmes et processus de vote dans les infrastructures critiques. De quoi mieux verrouiller et sécuriser le vote moderne.

Olivier Robillart