il y a 5 ans -  - 4 minutes

Marie Brayer, Serena Capital : « ne pas investir dans le digital est un facteur de déficience »

Le marché du logiciel est en plein essor. De nombreuses pépites émergent grâce à des cycles d’innovation performants et la présence de talents confirmés. De quoi élaborer des écosystèmes complets auprès desquels Serena Capital opère.

Selon une récente étude conduite par Serena Capital, en 2018 pas moins de 381 entreprises ont levé la somme totale de 2,7 milliards d’euros, (en en ne prenant en compte que les levées de plus d’un million d’euros). Dans ce cadre, le secteur du logiciel figure en bonne place. Preuve en est, la récente levée de fonds de 11,7 millions de dollars réussie par Odaseva, éditeur qui développe un outil d’automatisation de gestion de données sur le cloud.

Marie Brayer, Serena Capital pense que les VC sont présents pour les éditeurs de logiciels
Marie Brayer, Serena Capital

Une vitalité qui s’explique par une volonté forte d’établir de nouveaux écosystèmes en France mais également de rang européen et mondial. Un pari permanent dont Marie Brayer, Partner chez Serena Capital, nous explique les tenants.

A quels facteurs doit-on la vitalité du secteur du logiciel en France ?

Le secteur du logiciel présente une force et une singularité d’être sur un cycle d’innovation relativement long mais qui sait s’adapter. Très structuré autour des Silicon Tech auparavant, il a connu le modèle SaaS, ce qui lui a permis d’atteindre de nouveaux objectifs. Concernant les talents qui le compose, il faut souligner que des personnes d’expérience ou qui ont fait carrière dans le logiciel peuvent encore utiliser leurs ressources et les mettre à profit du secteur.

Dans les années 2000, certaines petites musiques résonnaient aux oreilles de certains tel que « le numérique n’est qu’une mode », alors qu’il était au contraire important de réaliser des investissements dans ce domaine. De nos jours, ne pas investir dans le digital est devenu un facteur évident de déficience. Plus les entreprises s’impliquent dans le numérique, plus elles deviennent efficientes. Il suffit de regarder la bourse, les valeurs qui génèrent le plus de cash flow sont issues du numérique.

En France, le secteur du logiciel est devenu hot car nous avons bénéficié d’une première vague avec Business Objects. Des pionniers ont dû se battre pour tracer la voie. Puis des personnalités ont fait très fort comme Bertrand Diard avec Talend ou Jean-Baptiste Rudelle avec Criteo, ils ont permis de dépasser le seuil du million à une époque où seuls les américains parvenaient à réaliser des tours de table de 7 ou 8 millions. Cela a créé des cercles vertueux qui vont aboutir à constituer de véritables écosystèmes proches de ceux qui existent dans certaines grandes villes comme New-York.

Comment créer des écosystèmes bénéfiques pour tous ?

Bâtir des écosystèmes permet de constituer des synergies entre acteurs. Actuellement, nous voyons se profiler un facteur bloquant qui se présente sous la forme d’une interrogation. Après avoir constitué des licornes comme Criteo, BlaBlaCar ou Doctolib, comment pouvons-nous contribuer à faire émerger des « legendary companies » ?

Pour que les éditeurs y parviennent, ils vont devoir recruter des talents, des directeurs marketing qui ont déjà eu l’expérience d’une scale-up. Ce type de profil est extrêmement dur à recruter car les personnes ayant dû gérer une croissance à trois chiffres sont rares. Le facteur limitant c’est le talent. Le visa français mis en place par le Gouvernement pour faire venir ce type de profil est une bonne initiative mais il en faudra davantage.

Comment pouvons-nous contribuer à faire émerger des « legendary companies » ?

A présent, tout est question d’écosystèmes. Il peut donc s’avérer difficile pour une entreprise de prendre en compte le mouvement perpétuel de ces derniers. Par le passé, des écosystèmes se sont formés autour de SAP ou de Microsoft, plus récemment autour de Salesforce mais il convient désormais de bien connaître la roadmap de ces grands comptes pour pouvoir s’y insérer correctement.

A mon sens, il y a un écosystème encore trop peu exploré autour de l’informatique quantique. Certaines applications n’arriveront peut-être que dans 5 ans, mais elles auront un potentiel monstrueux de disruption. La Chine travaille déjà beaucoup sur le sujet en particulier dans les domaines militaires et de la cyberdéfense. Je ne comprends pas pourquoi la France, qui bénéficie de chercheurs de pointe et d’ingénieurs qualifiés, ne figure pas dans le podium mondial de la discipline. La France ne figure qu’au 10ème rang mondial en termes de dépenses sur la quantique. A ce rythme, nous aurons des difficultés à rattraper notre retard.

Comment des éditeurs français peuvent devenir des géants du B2B mondial, à l’image des leaders américains dans le B2C ?

Certains éditeurs français dans le B2B ont une chance de devenir, d’ici 10 à 15 années des « legendary companies ». Réaliser 100 milliards en 10 ans c’est possible, cela ne doit pas rester dans le domaine du rêve. Cela prendra peut-être 10,15 ou même 20 années mais c’est réalisable à condition d’y agréger les talents nécessaires. A défaut, il faudra faire venir des personnalités venant d’ailleurs.

L’un des facteurs qui permettrait de raccourcir les cycles est l’inclusion. En France, le mix est plus important qu’aux Etats-Unis même si les contextes sociaux sont évidemment différents. Au niveau des directions, le mix est en cours d’amélioration mais cela demeure encore un cercle de personnes qui ont bénéficié du bon réseau, des bons bagages… Cela dit le monde de la diversité est là, à portée de tous. Il ne suffit plus que de se saisir des opportunités.

Olivier Robillart