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Bernard Charlès, Dassault Systèmes : « mettre le numérique au centre de l’industrie du futur »

Bernard Charlès, vice-président du conseil d’administration et directeur général du leader français du logiciel Dassault Systèmes dévoile son ambition forte pour l’industrie du futur. Dans un contexte de transformation des écosystèmes, le dirigeant nous explique comment il entend accompagner les mouvements majeurs en cours autour de la ville intelligente, de l’innovation et du développement durable. Interview exclusive.

En quoi l’industrie du futur représente-t-elle une véritable perspective de renouveau pour l’industrie française ?

Lorsque l’on observe les économies modernes, on voit qu’il y a un questionnement profond autour de ce qui constitue réellement la valeur. En fait, la valeur d’usage devient une notion clé car c’est l’utilisateur lui-même qui évalue désormais l’intérêt réel d’un service ou d’un bien. Nous sommes dans une économie d’usage, une économie d’expérience. Ce mouvement, à savoir le transfert de la valeur intrinsèque d’un produit vers sa valeur d’usage, est bien entamé et ne va plus s’arrêter !

Bernard Charlès, DG Dassault Systèmes
Bernard Charlès, DG Dassault Systèmes

Symétriquement, le numérique et l’avènement des plateformes ont pour conséquence de réduire les frictions de marché. Une fois ces frictions écartées, vous atteignez un optimum de performance économique. Les exemples d’Amazon, d’Alibaba ou d’Uber sont patents. Ils ont complètement renversé la perspective en focalisant toute leur attention sur le service rendu à l’utilisateur. Cette manière d’envisager l’économie de l’usage rebat les cartes ! Ce sont de formidables opportunités pour penser de nouvelles offres et donc pour nos entrepreneurs français et les petites et moyennes entreprises. Grâce au numérique vous pouvez être vu du monde entier aujourd’hui.

Dassault Systèmes a cette ambition pour l’industrie. L’industrie du futur, c’est repenser totalement l’offre, c’est mettre le numérique au centre de cette dernière.

Alibaba et Uber ont complètement renversé la perspective au profit de l’utilisateur

Bernard Charlès

Appliqué à l’usine du futur, le mouvement va modifier en profondeur la conception des produits. Si vous définissez l’usage comme facteur de valeur, il devient essentiel de représenter cet usage avant même d’avoir conçu le produit. Lorsque l’on rêve d’un usage, il convient de vérifier avec ses clients potentiels que le service rendu ou l’objet produit sera utile et pertinent. C’est ainsi qu’interviennent la réalité virtuelle, le maquettage au sens le plus générique du terme, le storyboarding… Autant d’atouts formidables au service de l’innovation.

Dans quelle mesure la plateformisation de l’économie, à l’œuvre dans le B2C s’étendra demain au B2B ?

Nous assistons à de formidables changements au sein des processus de création. Les innovateurs se sont emparés des outils de production pour devenir de véritables maker capables de créer et de faire produire leurs solutions par d’autres opérateurs. Cette mutation est à présent accessible à tous dans la mesure où toutes les composantes de la production, y compris l’usinage et l’impression 3D, sont accessibles sur une plateforme unique. Ceci a changé la donne pour plus de simplicité. Quiconque disposant d’actifs en impression 3D peut se présenter sur la marketplace de la plateforme 3DEXPERIENCE de Dassault Systèmes et toucher de nouveaux clients à travers le monde.

Ce changement de paradigme a pour effet d’encourager l’excellence dans les métiers. La conséquence directe est la modification de l’ensemble de l’infrastructure industrielle mondiale. Les opportunités ouvertes pour les artisans aussi bien que pour les grands groupes sont absolument formidables.

La Renaissance de l’industrie, une nouvelle forme d’économie et d’entreprise

Bernard CharlèS

Les mouvements permanents de la tectonique des plaques industrielle font que Dassault Systèmes se doit d’être à l’écoute des grands changements. C’est pourquoi nous nous sommes résolument inscrits dans une logique de Production as a Service dont la finalité est d’embrasser le plus large écosystème au monde. Il s’agit là de l’avènement d’une nouvelle forme d’économie et d’entreprise que nous appelons «Renaissance de l’Industrie»…

La France de l’industrie du futur ne se fera pas sans un regard porté vers l’international. Les actions visant à stimuler les investissements à l’étranger sont-elles suffisantes ?

Assurer l’attractivité de la France et stimuler l’investissement représentent les deux faces d’une même pièce. Il est important de créer à la fois des dispositifs d’attractivité et de compétitivité. Il est, en ce sens, utile de souligner que la loi de Finances 2019 contient des dispositions fortes permettant d’ancrer la propriété intellectuelle en France et de la rattacher au territoire. Ces mesures représentent un atout majeur pour les entreprises, qui ont à présent tout intérêt à conserver la propriété intellectuelle sur le territoire français.

La Silicon Valley représente pour de nombreuses entreprises une sorte d’Eldorado qui leur permettrait, pense-t-on, de modifier radicalement leur trajectoire. Mais c’est un doux rêve. Ce n’est ni une finalité ni une condition sine qua non de la réussite. Pour maintenir une industrie durable, il est d’abord nécessaire de demeurer proche de son territoire et d’y créer des emplois.

La France souffre-t-elle d’une frilosité plus importante que ses voisins en matière d’innovation ?

Aujourd’hui, beaucoup de grands travaux sont initiés. Puis finalement interrompus ou revus pour la simple raison que certains éléments ont été mal anticipés. De nombreuses villes de par le monde ont d’ores et déjà corrigé ces défauts et réduisent leurs coûts de construction et d’aménagement. Grâce à des outils innovants de modélisation numérique qui permettent d’anticiper les problèmes.

En France, la question demeure complexe. Le Grand Paris, par exemple, est un projet captivant mais qui n’est pas encore suffisamment numérisé. Les investissements considérables consentis auraient pu s’accompagner d’une évaluation complète des conséquences du projet dans sa globalité afin d’envisager les meilleures solutions. Mon propos est positif et constructif car il est toujours possible de conduire différemment les projets futurs.

Nous avons déjà conduit des projets dans cette même optique. A Rennes Métropole, à Singapour, à Jaipur et dans la région de Shenzhen en Chine, notamment. Ces villes avaient un besoin impérieux de se réinventer. Les élus ont, par exemple, revu les déplacements de la population grâce à des simulations de flux. Ils ont permis à l’innovation d’entrer sur leurs territoires, permettant ainsi l’émergence de nouvelles villes intelligentes.

Quels seraient les actions clés à conduire pour positionner l’Europe en tant que leader au service des entreprises de demain ?

Pour que de nouveaux acteurs s’implantent durablement, il est nécessaire que se créent des connexions entre des sociétés technologiques françaises et de grands groupes qui exportent. Ce réseau neuronal permettrait de tisser des liens entre les différentes filières. Je l’ai déjà dit, je ne crois pas que les filières telles qu’on les concevait au XXème siècle aient de l’avenir. En revanche, je soutiendrai ceux qui estiment que l’innovation est nécessairement interdisciplinaire. A l’avenir, ce ne sont plus les plateformes mais des écosystèmes entiers qui seront appelés à se développer. L’Europe doit soutenir ce formidable mouvement d’industriels dont l’ambition est d’offrir à tous des biens doués d’une valeur d’usage supérieure.

Au-delà des enjeux économiques, l’industrie de demain ne devra-t-elle pas être écologique et inclusive ?

L’histoire a démontré que les leaders technologiques ont tous ont été un jour mis en question. IBM, Microsoft et bien d’autres ont vu leur position menacée par des changements majeurs de nature technologique. Mais également économique et même sociale et écologique. Le défi écologique constitue en réalité une formidable opportunité pour Dassault Systèmes. A tel point que Dassault Systèmes a été nommée l’an dernier entreprise la plus durable au monde.

Une étude conduite par Harvard a établi une comparaison entre une tonne de CO2 consommée par Dassault Systèmes dans le cadre de notre activité et l’impact positif de nos logiciels chez nos clients. L’empreinte était de 1 pour 10 000. A chaque fois que Dassault Systèmes consomme une tonne de CO2, nous en sauvons 10 000 tonnes par l’usage de nos logiciels dans le monde. Le constat est évident. Nous devons poursuivre dans cette voie. Et faire prendre conscience que le développement durable est l’affaire de tous.

La numérisation du monde permet d’organiser l’industrie d’une manière nouvelle. Ce propos est intimement lié au développement durable, au futur de la planète. Il y a un déséquilibre entre le volume de ce que l’on consomme et ce que l’on restitue aux milliards de personnes sur la planète. Aider l’industrie à assumer ce défi majeur pour l’humanité, tout l’enjeu de demain est là. Et c’est à nous qu’il revient de le relever.

Olivier Robillart